Christoph Willibald GLUCK (1714-1787)
Christoph-Willibad Gluck s’est familiarisé auprès de Sammartini à Milan (1736) avec l’opéra italien, et initié à l’art de Haendel à Londres en 1745. Auteur à succès de nombreux opéras dans le style italien et jouissant d’une réputation flatteuse auprès de la Cour de Vienne, il s’intéresse pourtant à l’opéra-comique français, apprend notre langue et compose, à partir de 1755, plusieurs pièces sur des textes de Favart, Lesage, Sedaine, Dancourt… Convaincu bientôt de l’incohérence dramatique de l’opéra italien, il ressent le besoin d’une réforme du livret… Avec Calzabigi, librettiste convaincu du bien-fondé de cette démarche, il se met au travail : de l’union de leurs efforts naît Orfeo ed Euridice créé à Vienne en 1762 avec dans le rôle d’Orfeo le célèbre castrat contralto Gaetano Guadagni. La musique se met au service de l’action. Le reccitativo secco est supprimé et la présence constante de l’orchestre, élément complètement novateur à l’époque, constitue l’élément d’unité principal. Les choeurs, incorporés eux aussi à l’action, démontrent une grande puissance expressive. Les airs se dépouillent des ornements superflus de la virtuosité… Onze ans plus tard Gluck fera un triomphe à Paris où ses oeuvres en français (dont en 1774 une version de l’Orfeo pour ténor) marqueront un véritable renouveau de notre opéra national… Puis il reviendra définitivement terminer sa carrière à Vienne où il mourra en 1787. Mais Orfeo ed Euridice restera l’oeuvre majeure de sa période viennoise.
ORPHEE ET EURYDICE
Argument
ACTE I
Dans une agréable campagne voisine du lac d’Averne (près de Naples), au milieu d’un bosquet de lauriers et de cyprès, se dresse le tombeau d’Eurydice, morte de la piqûre d’un serpent quelques jours seulement après ses noces avec Orphée. Des bergers, des bergères et des nymphes se réunissent pour une cérémonie funèbre autour d’un monument, le couvrent de parfums et de fleurs en invoquant les mânes de la jeune femme. Etendu à terre, son casque et sa lyre suspendu à un arbre, Orphée ne sait plus que répéter en gémissant le nom de son épouse disparue.
Resté seul, Orphée qui sait charmer par son art les bêtes sauvages et les êtres inanimés prend la nature à témoin de son deuil et de sa peine. Il appelle Eurydice de l’aurore jusqu’au soir dans les vallons et les forêts et seuls répondent à ses plaintes l’écho et les murmures et les ruisseaux.
Orphée se révolte ensuite contre son sort, invective les divinités souterraines qui lui ont ravi son épouse et décide de pénétrer jusque dans les Enfers – dont les portes sont proches du lac d’Averne – pour la leur réclamer.
L’Amour survient pour l’encourager dans son audacieux projet : Jupiter, ému par sa douleur, lui permet de descendre dans le royaume des morts pour tenter d’en attendrir les farouches gardiens. Il pose cependant une condition au retour d’Eurydice à la vie. Il faut qu’Orphée s’interdise de porter un seul regard sur elle avant que tous deux soient sortis du pays des ombres. Pire encore, il ne doit pas révéler à son épouse que ce sont les Dieux qui l’ont soumis à une telle contrainte, sous peine de la voir mourir de nouveau. Orphée prévoit combien il sera difficile d’obéir à ce cruel décret mais l’accepte courageusement.
ACTE II
Dans une horrible caverne, au-delà du fleuve Cocyte nourri des larmes des damnés, les portes des Enfers se dressent, terrifiantes, à travers la lueur rougeoyante des flammes assombrie par une noire fumée. Tandis qu’Orphée s’avance, les Spectres et les Furies qui les gardent cherchent à l’épouvanter par leurs gesticulations tout en excitant contre lui le monstrueux Cerbère.Armé de sa seule lyre sur laquelle il accompagne son chant, Orphée peint son tourment pour émouvoir les créatures infernales. Peu à peu les terribles Ombres sentent leur fureur se calmer et, enchantées par les sons magiques, elles cèdent le passage au divin chanteur. Les portes des Enfers s’ouvrent lentement et Orphée pénètre dans la sombre voie. Dès qu’il a disparu, les Spectres retrouvent toute leur frénésie et se précipite dans un gouffre.
Aux Enfers se trouvent les Champs-Elysées et leurs paysages charmants de bosquets, de tapis de fleurs et de fontaines murmurantes : c’est le séjour des Ombres heureuses où les héroïnes et les héros vertueux se reposent dans un calme oubli de la vie terrestre. Au milieu d’elles, Eurydice chante la douce tranquillité de ces lieux.
Eurydice s’est éloignée lorsqu’ Orphée entre, d’abord émerveillé par la beauté du spectacle, puis reprenant sa quête inquiète d’Eurydice. Il est accueilli par les Ombres heureuses qui lui annoncent l’arrivée imminente de celle qu’il cherche avec tant de constance. Eurydice paraît. Sans la regarder, Orphée la prend par la main pour la mener hors des Enfers.
ACTE III
Suivant un sombre sentier encombré de rochers et de ronces, Orphée s’avance, tenant toujours Eurydice par la main. La pressant de la suivre, il lui apprend qu’ils cheminent vers le monde des vivants. D’abord transportée de joie, la jeune femme s’inquiète bientôt de ne point croiser le regard de son époux. A ses interrogations de plus en plus angoissées, Orphée ne sait que répondre et se trouble.
Dans un mouvement de colère, Eurydice refuse de le suivre alors qu’il s’interdit toujours farouchement de s’exprimer. Mais bientôt la douleur l’accable, elle se sent défaillir. Après un sursaut de révolte où elle exprime sa souffrance et regrette l’heureux oubli d’où elle a été tirée, elle adresse un dernier adieu à son époux. Orphée ne peut plus se contenir, il se retourne pour porter secours à Eurydice qui meurt de son premier regard.
Orphée se précipite vers le corps inanimé de celle qu’il perd pour la seconde fois. Chantant encore son désespoir et son deuil mais refusant une vie de solitude sans Eurydice, il décide de se tuer pour mieux la suivre dans le séjour des Ombres.
L’Amour intervient à temps pour l’en empêcher et pour lui annoncer la fin de ses épreuves. Il ranime Eurydice et réunit enfin les deux époux qui rendent grâce à son pouvoir.
La dernière scène se déroule dans un temple magnifique. L’Amour et sa suite reçoivent les hommages d’Orphée et d’Eurydice entourés de bergers, de bergères et de nymphes qui expriment leur bonheur par un hymne joyeux, célébrant le triomphe du dieu sur tous les cœurs.
Raphaëlle Legrand (extrait de L’Avant-Scène Opéra n°192 « Orphée »)